mardi 10 mai 2011

UNE CONTRIBUTION DE DENIS BLONDIN


Osama Ben LadenDans la même semaine, nous apprenons que l’OTAN a tenté d’assassiner le colonel Mouhammar Khadafien bombardant sa résidence et qu’un commando de la CIA a bel et bien réussi à assassiner Ousama Ben Laden. Certains commentateurs ont discuté de la pertinence politique d’exécuter Ben Laden plutôt que de le capturer. D’autres se sont questionnés sur l’à-propos de publier ou non les photos du défunt ou d’avoir largué son cadavre à la mer . J’ai même entendu une dame déplorer sur les ondes radio-canadiennes que le cadavre d’Oussama Ben Laden n’ait pas été ramené aux États-Unis en guise de trophée. Je n’ai cependant entendu personne remettre en question la légitimité ou la moralité de l’assassinat politique comme pratique établie.








À mon point de vue, qu’il soit ou non qualifié de « politique » et endossé par la population et par les médias, un assassinat reste un assassinat, au même titre que celui commandé par la mafia ou par un rival jaloux. Et je refuse d’y souscrire, ne serait-ce que de façon silencieuse.

Il arrive que les circonstances rendent impossible l’arrestation d’un criminel et son jugement devant une cour mais les autorités états-uniennes ont confirmé le fait que Ben Laden n’était pas armé et qu’il s’agissait par conséquent, sans le moindre doute, d’une exécution commandée et réalisée sans procès autre que celui de l’opinion publique. Comme aucune règle de droit national ou international n’a été respectée, on doit en conclure que les dirigeants du monde seraient au-dessus des lois. « La loi, c’est moi », affirme ainsi Barak Obama, comme l’avait fait Louis XIV avant lui. Mais Louis XIV ne prétendait pas avoir été élu et diriger une société démocratique.

La pratique de l’assassinat et sa promotion

D’autres présidents des États-Unis ont commandé ou approuvé des assassinats politiques. Probablement la majorité d’entre eux, en fait. Cependant, s’ils n’ont pas toujours nié la chose ou feint de n’y être pour rien, aucun ne l’a revendiqué avec autant de force et de visibilité que Barak Obama, qui a choisi d’en faire un méga-spectacle médiatique, en écartant la traditionnelle décence de l’hypocrisie. Peut-être Obama aura-t-il ainsi assuré sa ré-élection mais il s’est placé exactement au même rang que son prédécesseur avec, en prime, un supplément de cynisme affiché.

À mon avis, le comble de l’horreur a été atteint avec la publication, par la Maison Blanche, de photos où l’on peut voir Barak Obama, Hillary Clinton, Joe Biden et un certain nombre d’autres privilégiés profiter en direct, sur leur grand écran, du spectacle de l’assassinat . J’avoue avoir beaucoup de mal à comprendre qu’une scène d’une telle portée ait été rendue publique. Comme si le simple fait qu’elle ait réellement eu lieu et que nous en soyons informés n’était pas déjà assez immoral. Comme si nous n’avions pas déjà tressailli, au fil de certains romans ou films de fiction, à l’idée que certains maniaques richissimes se délectent des images d’êtres humains assassinés ou torturés en direct.

Peut-être la publication de ces photos, qui auraient normalement dû rester confidentielles, était-elle précisément une tentative pour normaliser encore plus un comportement d’une telle aberration. Pour couronner le tout, il ne manquerait plus que la diffusion planétaire des vraies images de l’exécution, celles dont a pu se délecter le club sélect de la Maison Blanche. Nous pourrions alors faire aussi des arrêts sur image, des zooms ou des ralentis, et communier pleinement à ce rituel, comme l’ont fait, avant nous, bien d’autres populaces massées pour assister aux bûchers de l’Inquisition ou aux démembrements sur la place publique.

Khadafi a survécu, mais…

Quant à la tentative d’assassinat de Khadafi, une opération qui a entraîné la mort de son fils et de ses trois petits-enfants, elle aura bien vite été balayée dans le flot de l’information, tout particulièrement dans un tel contexte médiatique. Mais même en d’autres circonstances, je doute que bien des voix se soient élevées pour protester. Après tout, le visage de l’OTAN nous est parfaitement inconnu, comme celui du fils ou des petits-enfants du Méchant, et la respectable institution a décrété qu’elle avait ordonné le bombardement non pas d’une résidence mais d’un « poste de commandement », ainsi que l’ont répété docilement les médias occidentaux. Il semblerait que nous soyons en guerresans déclaration et que la guerre suspend toutes les règles ordinairement respectées dans une société de droit.

Nous savons tous que l’assassinat politique est depuis longtemps une pratique établie et approuvée par les dirigeants des « grandes puissances » mais il semble bien que, cette semaine, cette pratique soit sortie de la clandestinité pour revendiquer le statut de l’exploit le plus digne d’admiration. Je ne peux que le déplorer et le dénoncer. Et si Ben Laden ou Khadafi ont peut-être eux-mêmes commandé des assassinats politiques, je ne vois pas en quoi ils seraient différents d’Obama, si ce n’est qu’ils ne sont pas du même camp.

Que la société ait depuis longtemps fait éclater les cadres de la vie locale pour tenter de s’établir à une échelle internationale ou planétaire, cela ne devrait pas inverser le sens des idéaux ou des principes sur lesquels nous avons fini par asseoir, du moins en principe, nos institutions et notre vie sociale. Le fait que tel ou tel criminel soit plus ou moins honni ne devrait pas suffire à justifier que l’on remplace les procès par la vindicte populaire.

À l’intention de ceux ou celles qui voudraient balayer sous le tapis le point de vue que je défends ici, en supposant que je serais un sympathisant de Ben Laden ou de Khadafi, je précise qu’il n’en est rien.

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